Guerre commerciale Chine/USA : la Chine renforcera sa politique de propriété intellectuelle…en temps voulu
Alors que la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine fait rage depuis plusieurs mois et devrait s’intensifier au cours des élections américaines de mi-mandat [1], le souhait du président Trump d’imposer à la Chine le renforcement de sa politique de propriété intellectuelle et par là même de lutter contre le pillage des technologies américaines sera à moyen-terme certainement exaucé…mais son action n’y sera pour rien.
La propriété intellectuelle au cœur de la guerre commerciale Chine/USA
Dès août 2017, Donald Trump chargeait le représentant américain au commerce, Robert Lighthizer, de mener une enquête approfondie sur les pratiques commerciales de Pékin et la violation des droits de propriété intellectuelle (PI) des entreprises américaines sur le sol chinois. Cette enquête fut conduite conformément à la Section 301 du Trade Act de 1974 autorisant les Etats-Unis à prononcer unilatéralement des sanctions lorsqu’un partenaire économique ne protège pas adéquatement les droits de PI sur son territoire. Ceci, en évitant de recourir aux instances de régulation de l’OMC, organisation largement décriée et négligée par le président américain.
Après un premier round d’observation avec l’augmentation des taxes douanières sur l’acier et l’aluminium en début d’année 2018, c’est donc sans surprise que le 22 mars dernier le président Trump annonçait une offensive commerciale d’ampleur contre la Chine en imposant des droits de douanes sur un maximum de 60 milliards de dollars (49 milliards d’euros) d’importations chinoises et des restrictions aux investissements chinois aux Etats-Unis. S’appuyant sur l’enquête de Lighthizer [2], les Etats-Unis accusaient alors la Chine de piller leurs droits de propriété intellectuelle et d’imposer aux firmes américaines le transfert forcé de leurs technologies comme condition préalable à leur intégration sur le marché chinois.
La réponse chinoise ne se fit pas tarder, Pékin procédant à son tour à une augmentation équivalente des droits de douane portant notamment sur les importations de soja, whisky et automobiles américaines. Depuis, le président américain annonce régulièrement de nouvelles sanctions auxquelles répond immanquablement Pékin dans des proportions analogues.
Les pressions américaines sont vaines, l’histoire nous le confirme
L’inefficacité des pressions américaines sur la deuxième puissance mondiale se comprend à l’examen du problème sous un angle historique. Les mesures de rétorsions exercées par le président Trump à l’encontre de la Chine s’inscrivent dans la continuité de pressions exercées par les diverses administrations américaines depuis les années 1980. Toutes visent à ce que la Chine adopte un régime de protection des droits de PI élevé, et toutes se sont révélées infructueuses. L’explication de ces échecs répétés est simple. Les contrefaçons, les licences forcées de brevets, le siphonnage de technologies constituent en réalité une phase préliminaire (nécessaire ?) et connue de la plupart des grandes puissances au cours du développement de leur économie, les Etats-Unis ne faisant d’ailleurs pas figure d’exception.
Les Américains ont, en effet, au cours du XIXe siècle, cherché à combler leur retard avec l’ancienne puissance coloniale anglaise par la copie et l’appropriation massive de ses technologies, notamment par la contrefaçon de machines dans le secteur textile [3]. Il fut donc précisé dès 1793 que seuls les citoyens américains pouvaient obtenir un brevet d’invention. Le système américain de protection des brevets demeurant largement discriminatoire et protectionniste jusqu’en 1861. Vu sous cet angle, la Chine n’est, en quelque sorte, que les Etats-Unis du XIXe siècle…
La Chine impose son rythme
Dès lors, peu importe les mesures que prendra l’hôte de la Maison Blanche à l’égard du rival chinois, la Chine ne renforcera pas substantiellement sa législation et continuera à violer les droits de PI des entreprises américaines tant qu’elle considérera qu’il est dans son intérêt économique d’agir de la sorte. C’est-à-dire jusqu’à ce qu’elle atteigne le point où son économie nationale pâtit plus des contrefacteurs locaux qu’elle n’en tire d’avantages. Certainement, quand un niveau élevé de protection des droits de propriété intellectuelle bénéficiera à la majorité de ses entreprises nationales. En d’autres termes, lorsque son économie reposera principalement sur la connaissance et non plus sur l’imitation. D’ici là, la Chine renforcera graduellement les instruments de sa politique de propriété intellectuelle, en recherchant l’équilibre avec son développement économique… à son rythme.
S’il ne fait aucun doute que les Etats-Unis ont toute légitimité à vouloir défendre les intérêts de leurs entreprises high-tech, l’instrument contendant que constitue la hausse des droits de douanes n’est certainement pas le plus efficace. Selon Paul Goldstein, professeur de droit de propriété intellectuelle à l’université de Stanford, « Traiter le problème du pillage des droits de PI américains en Chine par des sanctions commerciales équivaut à pratiquer une opération microchirurgicale à l’aide d’un marteau de forgeron »[4]. Reste à savoir si Donald Trump sera mener une diplomatie plus subtile afin de défendre efficacement les intérêts des géants de la Silicon Valley…
Damien Sabathié
« Damien Sabathié est juriste PI en cabinet d’avocats à Munich. Diplômé d’un Master 2 en Droit européen et international de la propriété intellectuelle du Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI) et d’un Master 2 en Droit de l’internet et des systèmes d’information de l’université de Strasbourg, il est rédacteur occasionnel pour Les Yeux du Monde. Il a par ailleurs étudié en Hongrie (Budapest) et aux Pays-Bas (Maastricht) avant de s’installer depuis plusieurs années en Allemagne où il a également effectué un stage d’un an au sein de l’Office européen des brevets (OEB) en 2016. Il s’intéresse particulièrement aux enjeux géopolitiques entourant la PI et les technologies de l’information et de la communication (TIC)».
Sources :
[1] V. sur ce point, T. Huileng, « US-China trade war is poised to intensify: ‘Both sides think they have the upper hand’ », CNBC, le 27 août 2018.
[2] V. « Findings of the investigation into China’s Acts, policies and practices related to technology transfer, intellectual property, and innovation under Section 301 of the Trade Act of 1974 », disponible ici [en anglais] : https://ustr.gov/about-us/policy-offices/press-office/press-releases/2018/march/section-301-report-chinas-acts
[3] Voir C. R. Morris, « We Were Pirates, Too », Foreign policy, le 6 décembre 2012.
[4] V. P. Goldstein, propos recueillis par S. Driscoll in « Intellectual Property and China: Is China Stealing American IP? », Stanford Law School, le 10 avril 2018.
Ping : Renseignement : le regard d’Eric Denécé entre mutations et idées reçues | Groupe Gaulliste Sceaux